plus rien
on m’a tout enlevé
plus de manteau
plus d’habits ni souliers
plus de cell ni clés
pièce nue sans fenêtre
blessure à tout mon être
cœur moelleux malnutri
tachycardie de l’esprit
chagrin antipersonnel
sur une planche à ridelles
jolie jaquette bleu-vert
sur la civière des suicidaires
j’en suis arrivé là
par l’entrée sud A
de l’urgence archipleine
quel est votre problème ?
attenter à ma vie morne
je caresse ma corde
je drague la rivière
je titille mes somnifères
éjecté il y a un mois
pour plus vieux et plus laid que moi
que puis-je y faire ?
désormais grabataire
sur la civière des suicidaires
admis en psy illico
parqué dans un enclos
de l’autre côté du rideau
couleur grisaille miséreuse
ma voisine molle et visqueuse
inconsolable mérule pleureuse
elle craquelle ses fondations
gruge et dévore sa raison
véhémente elle fond en larmes
grande actrice d’un psychodrame
nous déclamant à l’infini
donnez-moé-le mes hostie
elle est en crise du cellulaire
que tout son être en criss requiert
comment faire pour la faire taire ?
sur la civière des suicidaires
vient le temps où tout se calme
déverse dans un silence aimable
fleuves remplis de lourdes larmes
ma ferveur réduite en pièces
j’écris ma vie je la dépèce
pas un visiteur n’entre ici
des heures à espérer le messie
l’omnipotent psychiatre en chef
son entretien on ne peut plus bref
enfance malheureuse
dépressions nombreuses
docteur vais-je m’en sortir en somme ?
bien sûr : bupropion et trazodone
ça en a tout l’air
surtout surtout
ne pas m’en faire
sur la civière des suicidaires
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vlimeuse
notre espèce
fouisseuse
gratte et excave
partout, où que l’on aille
ainsi est fait l’homo-ça-creuse
il faut forer des trous pour tout
puis après quelque temps
on devra à l’inverse
les remplir de ce qui reste
pour une maison on creuse !
pour l’aqueduc on creuse !
pour les ressources on creuse !
pour les barrages on creuse !
pour le métro on creuse !
pour nos trésors on creuse !
pour nos déchets on creuse !
pour nos cadavres on creuse aussi
car un jour ou l’autre gît
la pauvre taupe ensevelie
à la pelle ou à la piocheuse
festival de foreuses heureuses
carnaval de pépines et backhoe
il faut s’acharner aussitôt
percer la roche et la terre
mus par ce réflexe primaire
qu’à cela ne tienne
de filous finfinauds
ont vite compris le topo
s’équipent d’une dompeuse
pour y fourrer ce que l’autre creuse
évidence métaphysique
tout est dans trou
à la mairie, même là
sieur aspirant candidat
compte se faire élire
avec promesse subtile
de combler les nids-de-poule
en déterrant les pots-de-vin
selon toute vraisemblance
se creuser la tête
ne fera pas de différence
bonjour sensuelle_60
j’ai vu, lu et relu
je like ton profil
à la fois taquin et subtil
quoique j’aurais apprécié
voir des pics côté coquin
moins ceux de ton chien
mais enfin
je suis né dans villeray
on m’a bien élevé
je suis bon dernier
d’une famille nombreuse
un brin tumultueuse
car pendant que
les enfants s’esclaffaient
les parents s’esclaquaient
ma mère était folle de ses enfants
peut-être pas au début
mais à la longue
elle l’est devenue
mon père était
sérieux souverain
c’était un prince sans rire
après sa séance d’entraînement
il aimait à se déshaltèrer
in vino verre ou tasse
j’ai fréquenté la meilleure
polyvalente du quartier
un malandrin m’a opprimé
s’exerçait à m’estamper
pour finalement se lasser
quand ses jointures ont craqué
j’étais célèbre et sinistré
devenu le saigneur du quartier
sur le marché du travail
je me suis allaité
de haute tètenologie
chaque jour je crie I.A.
à mon bel assaillant
j’ai sa face bien estampée
dans notre base de données
vengeance ingrate à la 1984
juste retour des choses
je me considère
célibataire déporté
puisque mon ex
m’a repris les clés
oui, le délire est expiré
mon passé est digéré
un passé composté
à présent parle-moi de toi
au coeur de la nuit
il m’arrive parfois de faire
ces rêves immenses
d’argent et de puissance
visions mirifiques
club des millionnaires
ces grands millionnaires
à vrai dire très différents
de ces boîtes en fer blanc
bourrées de sardines
qui serrent les rangs
pataugent dans l’huile
à défaut d’océan
le jour vient me secouer
impose brutale réalité
j’avoue me demander
si seulement ma vie
un chouia monotone
prenait son envol
écrivain consacré
célébrité sur le web
la radio la presse la télé
lectrices envoutées affluent
envahissent festivals et salons
à mes séances de dédicaces
des filées d’Odette Toulemonde
jusqu’à plein mon cass
badang riche et célèbre
vivrais léger et allègre
m’empiffrerais de mets fins
me pacterais aux grands vins
milliers de millésimés
hors de portée
garnissant mon cellier
champagne et crème chantilly
all over my body
c’aurait l’heur de plaire
à ces deux trentenaires
fatalement blondes
jambes et chevelures longues
sourires au peroxyde
aguichantes et scotchées
me féliciteraient
sincèrement oui
de ma dégaine si sexy
de gringalet grisonnant
charmant et bedonnant
je foncerais en maserati
pédale au tapis
bolide sur la mythique 66
écoutant du vieux genesis
plein cap sur la californie
et l’hiver prendrais l’avion
pour me réchauffer
fuirais aux îles canaries
et l’été pour me rafraîchir
croisière en alaska
tas d’amis trinquent réunis
retrouvailles festins et bals
chers camarades de classe
sociale
ferais partie
des happy few
propulsés en orbite
embrasser ce projet fou
ballade en astronef
dans la fusée d’Elon
de Richard ou de Jeff
joujou que je mérite
l’apesanteur excite
le noir de carbone et
le CO2 vous dites ?
laissez-moi rire
mon char est électrique
autrement à la maison
à la belle saison
je naviguerais pépère
sur mon ponton
sur le lac au pognon
que j’aurais ensemencé
pour pêcher le fric
assis sur ma vaste terrasse
voyeur au télescope
j’observerais les jardiniers
au bout du domaine
massés en équipes
s’animer s’affairer
couper le gazon
tailler les haies
arroser les fleurs
et je siroterais rieur
rentier rayonnant
bien assis sur mon bonheur
ode à la grande vie
dirty martinis à l’infini
par dessus tout
pour m’amuser un peu
petit défi tant qu’à y être
je deviendrais président
élu démocratiquement
pour vous dire comment
et en qui croire
me constituer un troupeau
qui bêlerait à volonté
je jetterais le doute
dénoncerais toutes
ces abjectes conspirations
mensonges à mon sujet
vous dirigerais
vous amènerais
à grands coups de twitts
tout droit et vite
dans le mur
où moi je vais
(finalement
et en y pensant bien
je prendrai les sardines
avec un petit
craquelin)
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