POÈME DU MOIS (SEPTEMBRE 2024)

La civière


plus rien

on m’a tout enlevé

plus de manteau

plus d’habits ni souliers

plus de cell ni clés

pièce nue sans fenêtre

blessure à tout mon être

cœur moelleux malnutri

tachycardie de l’esprit

chagrin antipersonnel

sur une planche à ridelles

jolie jaquette bleu-vert

sur la civière des suicidaires


j’en suis arrivé là

par l’entrée sud A

de l’urgence archipleine

quel est votre problème ?

attenter à ma vie morne

je caresse ma corde

je drague la rivière

je titille mes somnifères

éjecté il y a un mois

pour plus vieux et plus laid que moi

que puis-je y faire ?

désormais grabataire

sur la civière des suicidaires


admis en psy illico

parqué dans un enclos

de l’autre côté du rideau 

couleur grisaille miséreuse

ma voisine molle et visqueuse

inconsolable mérule pleureuse

elle craquelle ses fondations

gruge et dévore sa raison

véhémente elle fond en larmes

grande actrice d’un psychodrame

nous déclamant à l’infini

donnez-moé-le mes hostie

elle est en crise du cellulaire

que tout son être en criss requiert

comment faire pour la faire taire ?

sur la civière des suicidaires


vient le temps où tout se calme

déverse dans un silence aimable

fleuves remplis de lourdes larmes 

ma ferveur réduite en pièces

j’écris ma vie je la dépèce

pas un visiteur n’entre ici

des heures à espérer le messie

l’omnipotent psychiatre en chef

son entretien on ne peut plus bref

enfance malheureuse

dépressions nombreuses

docteur vais-je m’en sortir en somme ?

bien sûr : bupropion et trazodone

ça en a tout l’air 

surtout surtout

ne pas m’en faire

sur la civière des suicidaires


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POÈME DU MOIS (AOÛT 2024)

Tout est dans trou


vlimeuse

notre espèce

fouisseuse

gratte et excave

partout, où que l’on aille

ainsi est fait l’homo-ça-creuse

il faut forer des trous pour tout

puis après quelque temps 

on devra à l’inverse

les remplir de ce qui reste


pour une maison on creuse !

pour l’aqueduc on creuse !

pour les ressources on creuse !

pour les barrages on creuse !

pour le métro on creuse !

pour nos trésors on creuse !

pour nos déchets on creuse !

pour nos cadavres on creuse aussi

car un jour ou l’autre gît

la pauvre taupe ensevelie


à la pelle ou à la piocheuse

festival de foreuses heureuses

carnaval de pépines et backhoe

il faut s’acharner aussitôt

percer la roche et la terre

mus par ce réflexe primaire

qu’à cela ne tienne

de filous finfinauds

ont vite compris le topo

s’équipent d’une dompeuse

pour y fourrer ce que l’autre creuse


évidence métaphysique

tout est dans trou

à la mairie, même là

sieur aspirant candidat 

compte se faire élire

avec promesse subtile

de combler les nids-de-poule

en déterrant les pots-de-vin


selon toute vraisemblance

se creuser la tête

ne fera pas de différence


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POÈME DU MOIS (JUILLET 2024)

sensuelle_60


bonjour sensuelle_60

j’ai vu, lu et relu

je like ton profil

à la fois taquin et subtil

quoique j’aurais apprécié

voir des pics côté coquin

moins ceux de ton chien

mais enfin


je suis né dans villeray

on m’a bien élevé

je suis bon dernier

d’une famille nombreuse

un brin tumultueuse

car pendant que

les enfants s’esclaffaient

les parents s’esclaquaient


ma mère était folle de ses enfants

peut-être pas au début

mais à la longue 

elle l’est devenue

mon père était 

sérieux souverain

c’était un prince sans rire

après sa séance d’entraînement

il aimait à se déshaltèrer

in vino verre ou tasse


j’ai fréquenté la meilleure

polyvalente du quartier

un malandrin m’a opprimé

s’exerçait à m’estamper

pour finalement se lasser

quand ses jointures ont craqué

j’étais célèbre et sinistré

devenu le saigneur du quartier


sur le marché du travail

je me suis allaité

de haute tètenologie

chaque jour je crie I.A.

à mon bel assaillant

j’ai sa face bien estampée

dans notre base de données

vengeance ingrate à la 1984

juste retour des choses


je me considère

célibataire déporté

puisque mon ex

m’a repris les clés

oui, le délire est expiré

mon passé est digéré

un passé composté


à présent parle-moi de toi


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POÈME DU MOIS (JUIN 2024)

Millionnaires


au coeur de la nuit 

il m’arrive parfois de faire

ces rêves immenses

d’argent et de puissance

visions mirifiques

club des millionnaires

ces grands millionnaires

à vrai dire très différents

de ces boîtes en fer blanc

bourrées de sardines

qui serrent les rangs

pataugent dans l’huile 

à défaut d’océan


le jour vient me secouer 

impose brutale réalité

j’avoue me demander

si seulement ma vie 

un chouia monotone

prenait son envol

écrivain consacré

célébrité sur le web 

la radio la presse la télé

lectrices envoutées affluent

envahissent festivals et salons  

à mes séances de dédicaces

des filées d’Odette Toulemonde

jusqu’à plein mon cass


badang riche et célèbre

vivrais léger et allègre

m’empiffrerais de mets fins

me pacterais aux grands vins

milliers de millésimés 

hors de portée

garnissant mon cellier

champagne et crème chantilly

all over my body

c’aurait l’heur de plaire

à ces deux trentenaires

fatalement blondes 

jambes et chevelures longues

sourires au peroxyde

aguichantes et scotchées 

me féliciteraient

sincèrement oui

de ma dégaine si sexy

de gringalet grisonnant

charmant et bedonnant 


je foncerais en maserati

pédale au tapis

bolide sur la mythique 66

écoutant du vieux genesis

plein cap sur la californie

et l’hiver prendrais l’avion

pour me réchauffer

fuirais aux îles canaries

et l’été pour me rafraîchir

croisière en alaska

tas d’amis trinquent réunis

retrouvailles festins et bals

chers camarades de classe

sociale


ferais partie 

des happy few

propulsés en orbite

embrasser ce projet fou

ballade en astronef

dans la fusée d’Elon 

de Richard ou de Jeff 

joujou que je mérite

l’apesanteur excite

le noir de carbone et

le CO2 vous dites ?

laissez-moi rire

mon char est électrique


autrement à la maison

à la belle saison

je naviguerais pépère

sur mon ponton

sur le lac au pognon

que j’aurais ensemencé 

pour pêcher le fric

assis sur ma vaste terrasse

voyeur au télescope

j’observerais les jardiniers

au bout du domaine

massés en équipes

s’animer s’affairer 

couper le gazon

tailler les haies

arroser les fleurs

et je siroterais rieur

rentier rayonnant

bien assis sur mon bonheur 

ode à la grande vie

dirty martinis à l’infini


par dessus tout

pour m’amuser un peu

petit défi tant qu’à y être

je deviendrais président

élu démocratiquement

pour vous dire comment

et en qui croire

me constituer un troupeau

qui bêlerait à volonté

je jetterais le doute

dénoncerais toutes

ces abjectes conspirations

mensonges à mon sujet

vous dirigerais

vous amènerais

à grands coups de twitts

tout droit et vite

dans le mur

où moi je vais


(finalement

et en y pensant bien

je prendrai les sardines

avec un petit 

craquelin)


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POÈME DU MOIS (MAI 2024)

Vie de bloc 5


bienvenue

et bravo !

nouveau proprio

proprio à numéro

ving-huit cinquante

tiret zéro machin-chose

québec inc.

fraîcheur

espoirs et renouveau

acquisition rapide

toute en liquide

pour flip cupide

bout de tuyau ici

touche de peinture là

plâtrer sommairement les dégâts

chasser les chauve-souris

et les fuites de l’entretoit

rafistoler la porte branlante

combler de gravier

quelques trous béants

de type bombardement

dans le stationnement

un sent-bon dans le couloir

pour masquer les relents

de moisissures noires

pif paf le tour est joué 

gros minimum 

de ramanchage

maximum d’hommages

au roi du patchage

le prochain numéro 

québec inc. 

visitant les lieux

n’y verra que du feu


pendant ce temps

captifs locataires

paient le loyer 

de leur shack

par simple 

virement interac

 

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POÈME DU MOIS (Avril 2024)

Saint-Léonard-de-Port-Maurice 1


absorbé à gamberger 

sur des couloirs du passé

je trébuche je m’affale 

retrouve le sous-sol familial 

de l’est de montréal

nouvellement débarqué

comme les viets 

le coeur en miettes

transmuté en bloc-people


dans ma chambre

à la fenêtre du haut du mur

défilent en alternance

pattes de chien 

jambes de voisin

aussi un chat pisseur

qui s’entête

à y marquer son territoire

ça schlingue les vieux hangars

ça suinte la rue panet

si ce n’était que cela


me remémore 

le fond de tonne 

l’odeur infecte du bonhomme

pathétique père qui se perd 

amer au fond de sa bière

affalé sur sa chaise 

pointe un doigt tremblant

terrorise sa grosse 50

garroche fielleux reproches

tout ça c’est ta faute

à une bouteille impavide


il y a aussi les oeufs pourris 

des raffineries

la fumée des puffs 

de matinée king size

quelquefois une embellie

le sapin de noël 

qui sent les cadeaux

le parfum enrobant 

la blonde de mon frère

phéromonant mes 12 ans 

si ce n’était que cela


vastes champs entourent

l’enclave anglo-italienne

criquets à foison 

stridulant à l’unisson

on ne sait pas pourquoi

ça frise l’un des sens

il y en a un 

déboussolé

qui nous cric-cric 

planqué toute la nuit

dans un racoin de la toilette

nous rendant complètement

larry-bouldingues

si ce n’était que cela


activités de toutes sortes

fixer le display à bonbons 

du dépanneur

pendant une heure

faire des jumps de evel knievel

avec mon bécykapédales

préparer un barbecue de fourmis

avec ma loupe

balancer des pétards à mèche

dans le couloir

scrutant le ciel de nuit 

je cherche des ovnis

espérant me faire kidnapper

il n’y a que la lune béate et plate

si ce n’était que cela


je me fais des amis

il y a keith, greg et carl

peter, steve, phil, mike et tony

sur mon pick-up garrard

les vapeurs de carpet crawlers

d’abbadon’s bolero

blastés sur un moyen temps 

ont le don de faire

tilter maman

l’album de beau dommage 

tous-les-palmi-tous-les-palmi-tous-les-palmi

qui saute sans arrêt

il y a bob morane et l’ombre jaune

les signe de piste

qui contredisent 

cette enfance de malheur

si ce n’était que cela


il y a surtout 

qu’un jour je croise

au hasard de la rue

un clan de jeunes italos

pour épater la galerie

le chef se mouche 

vigoureusement

dans mon chandail


bâtard

you know who you are